Histoire du Jardin

Composition tirée d'une affiche peinte du botaniste Paul Rochette
 
Le jardin du Lautaret a été créé en 1899 par Jean-Paul Lachmann et ne se trouvait pas encore à son emplacement actuel. Voici l'histoire d'un jardin qui n'a cessé de se réinventer au fil du temps...
Portrait de J.P.Lachmann fondateur du jardin du Lautaret
Jean-Paul Lachmann (1851-1907)
La fin du 19e siècle voit fleurir en Europe des dizaines de jardins botaniques dans la chaîne des Alpes. Jean-Paul Lachmann, professeur de botanique à l’Université de Grenoble, considère les jardins alpins comme des laboratoires naturels permettant :
  • l'étude et la protection de la flore alpine ;
  • de tester les possibilités d’acclimatation de plantes potagères et fourragères à destination des populations de montagne ;
  • d'éduquer le public à la richesse de cette flore et à sa conservation.
En 1894, Jean-Paul Lachmann créé un premier jardin alpin à Chamrousse, mais ce jardin est abandonné en 1905. La station de ski n'existant pas encore, il n'y avait pas de route pour s'y rendre, l'accès était trop compliqué.
 
En 1899, Jean-Paul Lachmann crée deux autres jardins dans les Hautes-Alpes. Pourquoi si loin de Grenoble ? Parce que c'est un carrefour géologique, un carrefour bioclimatique à la biodiversité foisonnante. Un jardin à Villar-d'Arène était destiné à recevoir temporairement des plantes alpines exotiques, qui ne supportaient pas de prime abord le climat de l'autre jardin au col du Lautaret. Le jardin de Villar servait également à étudier l’acclimatation et l’amélioration des plantes potagères, fourragères et céréalières. Faute de crédits, d’entretien et de surveillance, ce jardin est abandonné vers 1910. Le jardin du Lautaret, quant à lui, se trouvait à l'embranchement actuel du col du Lautaret et de la route du Galibier.
 
Plan du 1er jardin du Lautaret Plan du premier jardin du Lautaret
À sa création en 1899, le jardin du Lautaret présente une collection de 500 espèces des Alpes occidentales, minutieusement étiquetées et disposées en plates-bandes parallèles. Des rocailles, dans la partie supérieure du jardin, mettent en valeur les espèces des Pyrénées, du Caucase et de l’Himalaya. Le jardin possède également un marais naturel (en bas à droite sur le plan). Les échanges de graines avec l’étranger commencent.

Le jardin du Lautaret vers 1910
Le Jardin avec en arrière-plan les chalets Bonnabel de l'hôtel des glaciers
Le col est en plein développement touristique grâce à la compagnie de chemin de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM), le syndicat d'initiative de Grenoble et du Dauphiné (SIGD) et Alexandre Bonnabel, commis des Ponts et Chaussées devenu entrepreneur hôtelier. Le jardin du Lautaret est très apprécié des touristes. Après la mort de Jean-Paul Lachmann en 1907, Marcel Mirande prendra sa suite à la chaire de botanique de Grenoble et à la tête du jardin du Lautaret.
Marcel Mirande dans son laboratoire placede Verdun à Grenoble Marcel Mirande (1864-1930) - Dans son laboratoire du palais de l'Université, place de Verdun à Grenoble

Marcel Mirande reprend le jardin du Lautaret en 1908 et développe ses aménagements. En 1910, le Jardin compte déjà 2 000 espèces de la flore des montagnes du monde, c'est à dire presque autant qu'aujourd'hui. Le laboratoire du Lautaret est installé dans une pièce du chalet-hôtel des glaciers, situé en face du Jardin. On y trouve des livres, des cartes de la région, un magnifique herbier des Alpes occidentales de 1 200 plantes, un microscope, une loupe montée, les réactifs et accessoires divers pour la préparation des plantes.
Après la Première Guerre mondiale, le Jardin doit être détruit à cause de la construction de la nouvelle route desservant le col du Galibier. L'Université n'a pas les moyens de déplacer le Jardin et ses collections uniques.

Inauguration du second jardin du Lautaret le 5 août 1919
Lors de l'inauguration du nouveau jardin, le 5 août 1919. Au centre, à gauche, Henry Defer le vice-président du touring club de France et, à sa droite, Marcel Mirande.

Heureusement, le touring club de France, la compagnie PLM, le prince Roland Bonaparte, la société nationale d'horticulture et l'office national du tourisme, reconnaissant le caractère exceptionnel du jardin du Lautaret, financent sa nouvelle implantation une cinquantaine de mètres plus haut, au pied de l'Hôtel PLM. L'histoire peut continuer...

Un chalet au coeur du JardinLe chalet construit dans le Jardin va permettre un essor important du site. À l’époque, il abrite un logement pour les jardiniers, un petit laboratoire où travaillent les chercheurs qui étudient la biodiversité et cartographient la végétation, un musée minéralogique et un musée ethnographique créé par Hippolyte Müller, le fondateur du musée dauphinois de Grenoble. En 1934, le ministère de l'éducation nationale classe le Jardin parmi les monuments naturels et les sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque (Arrêté du 4 octobre 1934). La renommée touristique et scientifique du jardin du Lautaret va s'accroître jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
 
Marcel Mirande décède en 1930 et est remplacé jusqu'en 1954 par le professeur René Verriet de Litardière (1888-1957). En 1932, ce dernier recrute Auguste Prével en tant que chef de culture et le forme à la botanique. Auguste Prével gère la totalité du Jardin où René Verriet de Litardière ne vient quasiment jamais. En 1944, les troupes allemandes battent en retraite et mettent le feu à l'Hôtel PLM. Le chalet du Jardin est visité mais épargné. Auguste Prével est pris en otage avec les autres hommes adultes du Lautaret et est tué dans une explosion à  la sortie du dernier tunnel avant le barrage du Chambon. Le Jardin est ensuite abandonné, laissant le chalet à la merci des pilleurs.

L'hôtel PLM avant l'incendie de 1944
 L'hôtel de la compagnie de Paris à Lyon et à la Méditerranée, avant qu'il ne soit détruit par les Allemands en 1944
Lucie Koffler et le sauvetage du Jardin après la seconde Guerre Mondiale
Lucie Kofler (1910-2004)
En 1947, à son arrivée à l'Université de Grenoble, en tant qu'assistante de René de Litardière, Lucie Kofler, chercheuse et professeure en biologie et physiologie végétale, s'intéresse de près au jardin du Lautaret. Elle y voit un formidable outil scientifique et pédagogique.
Elle devient cheffe de travaux du jardin du Lautaret et recrute, en 1950, Robert Ruffier-Lanche, un hôtelier de Pralognan-la-Vanoise, passionné autodidacte de botanique, membre de la société botanique de France et jardinier d'un petit jardin alpin au pied de son hôtel. Son entrée à l'Université de Grenoble sera l'occasion de vivre pleinement sa passion, en devenant le chef de culture du jardin du Lautaret. Le chalet du Jardin est remis en état par l'Université pour y accueillir sa nouvelle équipe. Lucie Kofler et Robert Ruffier-Lanche déploient toute leur énergie pour relancer le Jardin et reconstituer les collections.
Lucie Kofler ramène des plantes rencontrées lors de ses expéditions scientifiques pour enrichir les collections du Jardin. En 1955, Paul Ozenda succède à René de Litardière. Et tout comme son prédécesseur, il se repose sur Lucie Kofler et Robert Ruffier-Lanche pour s'occuper du jardin du Lautaret. À la fin de sa carrière en 1972, elle est une des premières scientifiques à étudier l'impact de la fumée des usines en utilisant les lichens comme indicateurs de pollution atmosphérique.
 
Robert Ruffié-Lanche chef de cultures du Jardin du Lautaret
Robert Ruffier-Lanche (1912-1973)
À l'arrivée de Robert Ruffier-Lanche, en 1950, il ne reste que 150 à 200 espèces sur les 3 000 que comptaient le jardin dans les années trente. Grâce aux graines qu'il récolte dans le jardin et aux alentours, ainsi qu'à l'échange de graines entre jardiniers, les 3 000 espèces sont à nouveau atteintes en 1953. En 1967, son index seminum est envoyé à près de 450 jardins, institutions et particuliers passionnés de plantes alpines. Au milieu des années soixante, on compte près de 6 000 espèces, variétés et formes introduites au jardin du Lautaret. Même si bon nombre d’entre-elles n'ont pas survécu longtemps, à cause des conditions climatiques ou à cause du manque de temps pour les entretenir.
Robert Ruffier-Lanche nous a légué des milliers de fiches, précieusement conservées, qui répertorient pour chaque espèce : l’origine des graines, l’année de semis, le lieu de plantation, les dates de floraison, l’évolution année après année. Il a assuré le rayonnement du jardin du Lautaret en participant à plusieurs congrès internationaux d'horticulture alpine et organisait in situ des stages de botanique. Il est à l'origine d'un herbier de plantes poussant au Lautaret et est l'auteur d'une trentaine d'articles sur le jardin du Lautaret et la botanique. Sa fille Véronique, alors âgée de 20 ans, meurt d'un tragique accident, en 1969, dans le chalet du Jardin. Après cela, Robert Ruffier-Lanche n'a plus jamais été le même et se suicide en 1973.

En 1967, il écrivait regretter de ne pas avoir l'occasion de former la personne qui le succéderait :

Ce qui me semble plus grave, est que je n'ai pu, évidemment, former de jardinier susceptible de prendre ma suite sans trop de difficultés ; j'estime qu'arrivant ex abrupto dans un jardin où croissent plus de 6 000 espèces de plantes, dont les étiquettes sont pour une bonne part, réunies par paquets dans un entrepôt, un jardinier très qualifié ne pourra être vraiment au courant qu'après 3 ou 4 saisons ; durant ce temps, pratiquement toutes les espèces de culture difficile, donc rares ou très rares en culture par cela même, auront largement eu le temps de disparaître. Et presque tout sera à recommencer. 

Le poste de Robert Ruffier-Lanche n'est pas renouvelé par l'Université et toute la bonne volonté des membres de la section grenobloise de la société d'amateurs des jardins alpins (SAJA) et de Lucien Maquet, un représentant de commerce passionné par la flore alpines et les jardins alpins, qui participait à l'entretien du Jardin avec Robert Ruffier-Lanche, ne suffira pas à éviter un nouveau déclin du jardin du Lautaret, qui dura jusqu'au début des années quatre-vingt.

Gérard Cadel et José Lestani au jardin du Lautaret
Gérard Cadel (1934-2021) à gauche et son chef de culture, José Lestani
Gérard Cadel, maître de conférences, qui a fréquenté le jardin du Lautaret à l'époque de Robert Ruffier-Lanche, décide de reprendre le Jardin en main et devient directeur en 1981. Il recrute José Lestani, en tant que chef de culture. Il fonde, en 1984, l'association des amis du jardin alpin (AJAL) à qui l'Université va déléguer la gestion financière du Jardin. D'immenses efforts sont menés pour obtenir des subventions et promouvoir le Jardin. Dès l'été suivant, 25 000 visiteurs sont enregistrés. Des visites guidées gratuites sont organisées, sous la conduite d'enseignants-chercheurs du laboratoire de biologie alpine, de chercheurs du laboratoire de physiologie cellulaire végétale, d'enseignants du lycée de Briançon et de membres de la SAJA. De nombreux travaux d'entretien et d'aménagement du site sont entrepris dans les années qui suivent : systèmes d'arrosage, création d'un chemin carrossable pour accéder au chalet, réfection du kiosque écroulé depuis 1965, installation d'une clôture en bois, création d'un bâtiment accueil-boutique, installation de toilettes pour les visiteurs et création d'un deuxième chalet.
Le deuxième chalet construit en 1889 Le deuxième chalet du jardin du Lautaret a été inauguré en 1989
Richard Bligny
Richard Bligny, directeur du jardin du Lautaret de 2002 à 2005
Sous l'impulsion de Richard Bligny, chercheur au laboratoire de physiologie cellulaire et végétale au CEA-Grenoble et de Roland Douce le directeur de ce laboratoire, un nouveau bâtiment est construit afin de faciliter le travail et l'accueil des scientifiques. Le chalet est équipé d'instruments qui permettent de conduire des recherches sur les plantes et les écosystèmes alpins. Des congrès sur la biologie, la physiologie et l'écologie des plantes alpines sont organisés sur place, afin de faire rayonner le Lautaret comme terre d'accueil de recherches scientifiques. En 1998, le jardin obtient le label conservatoire des collections végétales spécialisées (CCVS). Des tensions entre l'association qui gère le jardin et les activités universitaires de recherches grandissent. En 1999, au départ en retraite de Gérard Cadel, la situation est houleuse et la nouvelle direction du jardin du Lautaret est disputée entre José Lestani et Richard Bligny. Ce n'est qu'en 2002 que la situation s'apaise. L'Université de Grenoble reprend la gestion du Jardin dans sa globalité et Richard Bligny la dirige.
Serge Aubert
Serge Aubert (1966-2015)
Richard Bligny passera la direction à Serge Aubert en 2005. Ce dernier, maître de conférences de physiologie végétale à l'Université de Grenoble, connait très bien le jardin du Lautaret et œuvre pour son développement depuis plusieurs années. C'est grâce à lui que le CNRS devient co-tutelle du Jardin aux côtés de l'Université de Grenoble et que le ministère de la culture et de la communication attribue le label « Jardin remarquable ». En 2007, le jardin du Lautaret obtient le Grand Prix de la fondation Prince Louis de Polignac. Ce prix est attribué sur proposition de l'Académie des Sciences pour la contribution du jardin du Lautaret à la recherche en biologie alpine. Le site prend un nouvel essor sur les deux fronts, touristique et scientifique.
Le jardin du Lautaret tisse de nombreux liens avec les autres jardins botaniques et avec les infrastructures et fédérations de recherche scientifique. Il devient un lieu incontournable de dissémination des savoirs en sciences de la vie et de la terre. De nouvelles installations voient le jour : une nouvelle pépinière permettant d'accueillir dans de meilleures conditions les semis des serres de Grenoble et de conserver, en cas de perte, un double des espèces rares ; une zone expérimentale permettant de mener des recherches en condition semi-contrôlées ; un mur de tuf qui permet d'accueillir des plantes de rochers calcaires ou siliceux souvent délicates à cultiver ; trois banquettes surélevées pour les plantes de culture difficile qui nécessitent un fort drainage, un arrosage particulier et une protection hivernale. Des artistes sont accueillis en résidence, des cahiers illustrés du Lautaret sont édités, une nouvelle signalétique est mise en place et un parcours accessible aux personnes à mobilité réduite est agencé.

La construction d'un nouveau bâtiment est en projet. Destiné à héberger l'accueil-boutique du Jardin, un espace muséographique, un espace de séminaires-conférences et un laboratoire scientifique. Serge Aubert meurt brutalement en 2015. Il n'aura pas l'occasion de voir sortir de terre ce formidable outil de recherche et de médiation, qui permet à l'équipe actuelle, sous la direction de Jean-Gabriel Valay, de poursuivre de plus belle les différentes missions du jardin du Lautaret.

reportage alpe 1 au moment de l'inauguration du nouveau bâtiment du jardin du Lautaret
Publié le  14 février 2022
Mis à jour le 24 février 2023