Du sucre dans la neige !

Communiqué Recherche, Culture scientifique et technique
le  20 mars 2023
Projet de recherche Atmosheric Biogenic Sugars (ABS)
À quoi pensez-vous si on vous parle de sucre et de neige ? Monter les blancs en neige, sucre glace, sucre neige... La science fait un clin d’œil à la pâtisserie ! Et si nous nous intéressions au sucre, plus précisément aux sucres dans la neige, la vraie. Comment sont-ils arrivés là et comment se transforment-ils ? C'est le sujet de thèse de Francesca Schivalocchi

Écologie microbienne et biogéochimie de la neige

Les écosytèmes de montagne sont particulièrement sensibles à l'accumulation de particules atmosphériques (PM en anglais). Celles-ci peuvent être définies comme un mix de particules liquides ou solides. Par exemple : un mix de pollen, poussière, sable, goutelettes de vapeur, bactéries, virus, champignons, etc. Les particules atmosphériques les plus connues sont les PM10 et les PM2.5, à cause de leur effets négatifs sur nos poumons.

Les particules atmosphériques sont composées notamment de matière organique. Il est établi qu'une longue liste de sucres peut être mesurée dans cette matière. Ces sucres ont des origines différentes :
  • L'arabitol et le mannitol sont contenus dans les spores émises par les champignons pour se reproduire. Ces deux sucres se retrouvent donc dans l'atmosphère par l'action du vent.
  • Les bactéries, les virus, le pollen et les fragments de feuilles et de plantes sont constitués de sucres simples comme le glucose et le saccharose. Ils sont également transportés par le vent et les courants atmosphériques, parfois très loin (par exemple, lors des épisodes de dépôt de sable du désert du Sahara).
  • Le levoglucosan, le galactosan et le mannosan sont des sucres dérivés de la combustion du bois et des produits du bois. Cela signifie que leur concentration augmente particulièrement en hiver, quand une grande quantité de bois et de granulés de bois sont brûlés pour se chauffer.
Les particules atmosphériques, qui contiennent des sucres et des micro-organismes, circulent dans l'air et se retrouvent dans les précipitations, dont la neige.

L'hiver en montagne, différentes couches de neige se superposent et forment le manteau neigeux. À chaque fois qu'il neige, les particules atmosphériques s'accumulent aussi dans ce manteau. On suppose donc que les micro-organismes déposés consomment les substances organiques autour d'eux afin de produire l'énergie nécessaire pour leur cycle de vie.

En fait, les micro-organismes dans la neige ont besoin de manger, comme nous les humains. Et comme nous, il semblerait qu'ils préfèrent les sucres. Car ils sont rapides à métaboliser et fournissent immédiatement de l'énergie.
Pendant la saison hivernale, la neige accumulée peut subir des modifications de ses caractéristiques physiques et chimiques : telles que la température, le pH, la quantité de lumière et de sucres qu'elle reçoit de l'atmosphère. On suppose que cela affecte également les micro-organismes car certains sont mieux adaptés à des températures plus basses, un pH plus basique ou plus acide. Il existe aussi des bactéries et des micro-algues capables de réaliser la photosynthèse chlorophyllienne que l'on peut retrouver dans le manteau neigeux.


Les micro-organismes dans la neige
©Francesca Schivalocchi

Pourquoi étudier les micro-organismes dans la neige ?

Projet de recherche Atmosheric Biogenic Sugars (ABS) - En direction du site d'étude
Projet de recherche Atmosheric Biogenic Sugars (ABS) - Préparation du terrain et relevés
Catherine Larose, Francesca Schivalocchi et Mathieu Pin, pris en photo par Christine Piot, lors de leur venue au jardin du Lautaret dans le cadre du projet de recherche ABS
Les micro-organismes (bactéries, champignons, virus, micro-algues) ont toujours été sous-estimés, mais ils remplissent des fonctions essentielles dans tous les écosystèmes existants. Les micro-organismes étant de très petite taille, ils peuvent facilement être transportés partout. Ces organismes sont extrêmement diversifiés en termes de métabolisme et d'adaptabilité.
Dans un contexte de changement global, la disparition des habitats neigeux pourrait provoquer une diminution importante des micro-organismes présents, réduisant leur biodiversité. Plusieurs études ont montré que certains des micro-organismes ont la capacité de dégrader des substances potentiellement dangereuses. On peut donc supposer que sans l'action atténuante du manteau neigeux et l'action de dégradation microbienne, nombreuses substances présentes dans l'atmosphère pourraient être dispersées directement dans les systèmes d'eau.
 
Le projet ABS (Atmospheric Biogenic Sugars) reçoit le soutien logistique du jardin du Lautaret. Voici les 5 hypothèses qui vont être vérifiées dans les 3 prochaines années, par la doctorante Francesca Shivalocchi :
 
  1. Les micro-organismes jouent un rôle important dans l'habitat neigeux
  2. Leur activité permet la dégradation de diverses substances, telles que les sucres (S), les alcools de sucre (SA) et les anhydro-sucres (AS), ainsi que d'autres substances transportées par les particules atmosphériques dans le manteau neigeux à travers les précipitations
  3. En décomposant les sucres, les micro-organismes peuvent modifier leur concentration en sucres à l'intérieur de la neige, altérant ainsi sa signature atmosphérique.
  4. Il existe une différence entre les différentes couches du manteau neigeux, de la surface de la neige à la base "plus âgée", en termes de composition en sucres et microbiologiques.
  5. Les communautés microbiennes peuvent évoluer pendant la saison hivernale (de décembre à avril). À cause des changements de température, de la durée d'ensoleillement, des précipitations, du transport de substances, etc.

Au programme des recherches :

  • Réaliser plusieurs campagnes d'échantillonnage tout au long de la saison hivernale 2023 afin de suivre les dépôts et l'évolution de S, SA, AS et des micro-organismes
  • Quantifier les flux de S/SA et AS entre l'atmosphère et les dépôts de neige
  • Déterminer l'impact des activités métaboliques microbiennes du manteau neigeux sur les transformations et la production de S, SA, AS
  • Incubation de la neige collectée sur le terrain pour déterminer les transformations S/SA/AS à médiation microbienne.
Francesca Schivalocchi
Francesca Schivalocchi a fait des études universitaires principalement axées sur les sciences de l'environnement, en particulier les environnements froids. Elle effectue actuellement une thèse pour le compte de deux laboratoires de recherche. Le laboratoire environnements, dynamiques et territoires de montagne (Edytem), une unité de recherche de l'Université Savoie Mont Blanc (USMB) et du CNRS et le laboratoire Ampère, une unité de recherche de l'école centrale de Lyon (ECL) et du CNRS.
Publié le  17 février 2023
Mis à jour le  20 mars 2023